Aspiration – Paul Verlaine
CETTE Vallée est triste et grise : un froid brouillard Pèse sur elle; L'horizon est ridé comme un front de vieillard; Oiseau, gazelle, Prêtez-moi votre vol; éclair, emporte-moi ! Vite, bien vite, Vers ces plaines du ciel où le printemps est roi, Et nous invite À la fête éternelle, au concert éclatant Qui toujours vibre, Et dont l'écho lointain, de mon cœur palpitant Trouble la fibre. Là, rayonnent, sous l'oeil de Dieu qui les bénit, Des fleurs étranges, Là, sont des arbres où gazouillent comme un nid Des milliers d'anges; Là, tous les sons rêves, là, toutes les splendeurs Inabordables Forment, par un hymen miraculeux, des chœurs Inénarrables ! Là, des vaisseaux sans nombre, aux cordages de feu Fendent les ondes D'un lac de diamant où se peint le ciel bleu Avec les mondes;
Là, dans les airs charmés, volèrent des odeurs Enchanteresses, Enivrant à la fois les cerveaux et les cœurs De leurs caresses. Des vierges, à la chair phosphorescente, aux yeux Dont l'orbe austère Contient l'immensité sidérale des cieux Et du mystère, Y baisent chastement, comme il sied aux péris, Le saint poète, Qui voit tourbillonner des légions d'esprits Dessus sa tête. L'âme, dans cet Éden, boit à flots l'idéal, Torrent splendide, Qui tombe des hauts lieux et roule son cristal Sans une ride. Ah! pour me transporter dans ce septième ciel, Moi, pauvre hère,
Moi, frêle fils d'Adam, cœur tout matériel, Loin de la terre, Loin de ce monde impur où le fait chaque jour Détruit le rêve, Où l'or remplace tout, la beauté, l'art, l'amour, Où ne se lève Aucune gloire un peu pure que les siffleurs Ne la déflorent, Où les artistes pour désarmer les railleurs Se déshonorent, Loin de ce bagne où, hors le débauché qui dort, Tous sont infâmes, Loin de tout ce qui vit, loin des hommes, encor Plus loin des femmes, Aigle, au rêveur hardi, pour l'enlever du sol, Ouvre ton aile ! Éclair, emporte-moi ! Prêtez-moi votre vol, Oiseau, gazelle !
Aspiration
This valley is sad and gray: A cold fog Weighs upon it; The horizon is wrinkled like the face of the old; Bird, gazelle, Lend me your flight, light, take me! Quickly, very quickly, To the plains of heaven where spring is king And invites us To the eternal celebration, to the brilliant endless
Resonating symphony
And whose distant echo, penetrates the very fibres
Of my beating heart Here, shining, under the eye of God who blesses them, Strange flowers, There, the trees, where chirping like a nest are Thousands of angels; There, all the sounds dream, there, all the splendors Unattainable Form, by a miraculous marriage, choirs Unspeakable! There, countless ships, with rigging of fire Cleave the waves On a lake of Diamond where is painted the blue sky With the worlds
There, in the charmed air, stolen scents Enchant me Intoxicating both brain and heart With their caresses. Virgins, with glowing flesh, with eyes Whose austere orbs Contain the immensity of the starry heavens And its mystery, I kiss them chastely, as befits those who perish, The poet saint, Who sees whirling legions of spirits Above his head. The soul, in this Eden, drinks the ideal like water, Torrent splendid Which falls from high places and rolls its crystal Without a fold. Oh! Transport me to the seventh heaven Me, poor wretch
Me, frail son of Adam, heart too material, Far from the earth, Far from this impure world where each day Destroys the dream, Where gold replaces all, - beauty, art, love, Where nothing inspires Not even a little pure glory that the detractors Don’t deflower, Where artists, to disarm their critics, Dishonor themselves, Far from this prison where lie the sleeping debauched, All are infamous Far from everything that lives, far from men, still Further from women Eagle, bold dreamer, lift me above the earth Open your wings! Light, take me! Lend me your flight Bird, gaze
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